L’illusion écologique du Luxembourg : entre promesses et contradictions
Il y a des moments où le langage politique révèle plus qu’il ne dissimule. Au Luxembourg, le gouvernement ne manque jamais une occasion d’affirmer que la protection de l’environnement est une priorité nationale. Serge Wilmes, ministre de l’Environnement, parle souvent avec conviction de l’urgence climatique, des responsabilités du pays, de la nécessité d’un changement profond.
Mais un discours, même prononcé avec sérieux, n’a jamais suffi à faire une politique. Et aujourd’hui, c’est bien cette fracture entre paroles et décisions qui devient impossible à ignorer.
Un gouvernement qui proclame l’ambition… mais qui la dilue ailleurs
L’un des principaux reproches qui reviennent avec insistance est celui de l’incohérence.
Comment défendre une vision ambitieuse de la transition écologique à Luxembourg, tout en soutenant, à Bruxelles, des mesures telles que l’Omnibus Package, qui risque précisément d’affaiblir certaines protections environnementales clés ?
On peut répéter, comme le fait le ministre, que “simplification” ne signifie pas “régression”. Sur le papier, l’argument est recevable. Dans la pratique, il l’est beaucoup moins.
Quand les obligations de due diligence sont assouplies, quand des règles de transparence sur les impacts environnementaux deviennent plus flexibles, quand des normes destinées à encadrer des secteurs très polluants sont repoussées, modifiées ou réduites — comment appeler cela autrement qu’un recul, même si on préfère le déguiser sous un autre mot ?
Le gouvernement peut bien se défendre. Mais la contradiction demeure, visible, persistante, et difficile à expliquer autrement que par un manque de courage politique.
Le citoyen, éternel bouc émissaire d’une crise qui le dépasse
Il y a aussi cette facilité avec laquelle on renvoie la responsabilité vers le citoyen.
À lui de consommer mieux.
À lui de trier davantage.
À lui de “faire sa part”.
Mais la vérité, elle, est beaucoup moins confortable : ce ne sont pas les ménages qui dictent la trajectoire environnementale mondiale.
Les plus grands pollueurs, ce sont les multinationales de l’énergie, de l’industrie lourde, de la pétrochimie, de l’aviation, du transport maritime — un nombre limité d’acteurs qui pèsent infiniment plus lourd que le plus vertueux des consommateurs.
On peut demander des efforts individuels. On doit même le faire.
Mais on ne peut plus continuer à cacher, derrière ces appels à la sobriété, une politique qui reste trop indulgente envers ceux qui ont le pouvoir réel de changer la donne.
C’est là que l’hypocrisie commence : quand on exige du citoyen ce qu’on n’exige pas des puissances industrielles.
Le Luxembourg n’est pas un cas isolé — mais il ne peut plus s’abriter derrière cet argument
Il serait trop facile de dire que “tous les pays font pareil”.
Oui, l’Union européenne est traversée par cette même contradiction : un discours ambitieux, et des décisions qui, sous couvert de simplification, retardent la transformation écologique.
Oui, les États-Unis oscillent entre volonté affichée et intérêts économiques.
Mais ce constat n’excuse rien. Au contraire, il renforce l’urgence de clarifier la ligne politique luxembourgeoise :
soit le Luxembourg entend être un leader climatique crédible, soit il accepte de devenir un pays de plus qui parle beaucoup mais agit peu.
Choisir la cohérence, enfin
Un éditorial n’a pas pour mission de ménager. Il a pour mission de dire ce qui est nécessaire. Et ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est de rappeler que :
- Une politique environnementale ne peut pas être solide si elle fluctue selon la scène où elle s’exprime.
- On ne peut pas défendre une régulation stricte au Luxembourg et une régulation flexible à Bruxelles.
- On ne peut pas se dire protecteur de la nature tout en donnant de l’air à ceux qui l’abîment le plus.
- On ne peut pas bâtir la transition écologique sur le dos du citoyen seul.
Il est temps que le gouvernement assume un choix, un vrai : celui de la cohérence, qui implique parfois de contrarier, parfois de réguler plus fermement, parfois de tenir tête aux intérêts puissants.
Parce que la crédibilité politique ne se mesure pas au nombre de discours prononcés, mais à la solidité des décisions prises.
Parce que la transition écologique ne se gagne pas avec de belles intentions, mais avec des engagements tenus.
Et parce que le Luxembourg mérite mieux qu’une politique en clair-obscur.
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